Au guérillero inconnu
Il y a ceux que l’on pleure, qui ont des noms de rues…
Et ceux -des étrangers, souvent-
Qu’on a oublié,
Ombres frêles, pathétiques et nues,
Innombrables et éperdues, de gréants
Sacrifiés
Sur des stèles solitaires, anonymes et laconiques.
Pas de noms sur des murs, pas de tombes altières,
Qui demeurent et surplombent.
Des cénotaphes cachés, parmi le thym ou la bruyère,
Illisibles, sommaires, à demi étouffés…
Mais la pierre martelée, sous les doigts effleurée,
Et aveugles, parfois, laisse, à peine, deviner, peindre,
Saluer et étreindre,
En creux, les lettres des hommes, des amoureux,
Disparus, mystérieux.
Mort au combat, mort fusillé
Dans les parages peut-être. Gloire fatale et pesanteur,
Révérence abstraite d’un rivage qui n’était pas le leur
… Et des enfants qui, cinquante ans après,
Cherchent et cherchent encore, qui un père, qui un aïeul…
Zurita, Mandran…
«Il a fui l’Espagne et s’est engagé…
Il avait vingt ans…
Mon père est né juste après… »
Ode éternelle, ode de sang… Odes inconnues :
«Communiste, anarchiste ou rebelle, inorganisé…»
[Comme on dit !]… de Guernica au Perthus,
De la retraite aux maquis : envol inachevé d’un amour
attendu…
Endurance inouïe de sagas ordinaires :
Evadé des camps de la mer,
Où, sur la plage d’hiver oubliés, réfugiés,
Orphelins, solitaires,
De faim, de froid, d’indifférence, en silence s’éteignaient,
Sans rancune, il pris les armes à nouveau
Pour défendre… des mêmes bourreaux !
De la même lame, le pays versatile à son tour égorgé…
Quête nécessaire, tenace et familière : « et on perd sa trace »
Pas de prénom parfois, ou des noms de code qui effacent
Sur l’épitaphe indécise, l’âme de chair qui en nous vibre
Encore, de lui.
Là est tombé, là a disparu,
Sans épopée, sans amante pour le savoir, le dire
Et le publier, dans l’endure d’été qui languit et abolit,
Un jeune homme inconnu
Un amoureux, un père peut-être, un fils, sûrement, parti
Un soir d’hiver, sa musette sur le dos : « A bientôt,
Mes camarades, mes amis » guérillero, comme on dit
… Et que l’on n’a jamais revu.
Les corps ne portent pas les noms qui les emportent
Et les fleurs déposées sont celles de tous les champs…
Hélène Larrivé
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